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Actualisation sociale – axe 4 : le fait religieux dans les entreprises privées

Actualisation sociale

Animée par Pascal PETREL

Campus Juillet Les 6 et 7 juillet 2017

AXE 4 : Le fait religieux dans les entreprises privées

Les entreprises sont parfois confrontées à la volonté des salariés d’exprimer leurs convictions religieuses, et les réponses à apporter ne sont pas toujours évidentes.

Certains éclaircissements juridiques sont nécessaires. Cette présentation présente l’état du droit, notamment en s’appuyant sur le guide sur le fait religieux dans les entreprises publié par la Ministère du Travail en janvier 2017.

La liberté d’expression religieuse ne réduit pas le pouvoir disciplinaire

  1. La liberté d’expression religieuse est garantie mais n’est pas absolue A. Comment mettre en place la neutralité religieuse dans l’entreprise ?

La liberté d’expression religieuse est garantie dans les entreprises. En effet, les entreprises privées ne sont pas soumises au principe constitutionnel de laïcité, à al différence du service public.

Chaque salarié a donc le droit d’exprimer librement ses convictions, mais il est possible de restreindre la liberté d’expression religieuse. Cela doit être fait dans des conditions strictement encadrées.

En effet, toute mesure prise à l’encontre d’un salarié pour un motif qui ne serait pas considéré comme objectif est discriminatoire. La discrimination est un risque que devra éviter l’employeur s’il souhaite mettre en place et appliquer des règles de neutralité dans l’entreprise.

Elle est définie très largement par l’article L 1132-1 du Code du travail.

« Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, […] , notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français. »

Précisons que constitue une discrimination directe la situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable, sur un fondement discriminatoire mentionné ci-dessus.

Une discrimination indirecte est une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs mentionnés ci-dessus, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes.

Les restrictions aux libertés des salariés sont possibles. Elles doivent être justifiées et proportionnées pour être licites. Ainsi, l’article L. 1121-1 du Code du travail dispose que :

« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

Par exemple, l’entreprise peut filtrer l’accès aux sites internet à caractère religieux. Ce faisant elle limite la liberté du salarié. Mais internet est un outil de travail qui peut être contrôlé par l’entreprise.

Cette restriction est justifiée par la nature de la tâche à accomplir, puisque l’objectif est que les salariés se concentrent sur leur travail.

Elle est aussi proportionnée au but recherché, puisque ce ne sont que les sites à caractère religieux qui ont été filtrés.

  1. Mise enplace d’une règle interne à l’entreprise

En matière de limitation de la liberté d’expression religieuse, la Loi « Travail » du 8 août 2016 complète ce cadre en donnant une base juridique aux entreprises qui souhaitent instaurer une neutralité religieuse dans leur règlement intérieur.
Elle ajoute l’article L. 1321-1 au Code du travail :

« Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés, si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »

Cet article ne permet pas de mettre en place une restriction générale à la liberté religieuse sans justification. En plus de répondre à une exigence de proportionnalité, la clause en question ne pourra être mise en œuvre que lorsque :

  • des nécessités de l’activité de l’entreprise la justifie, tant au regard du personnel (respect des règles sanitaires, d’hygiène et de sécurité) que des tiers intéressées (contact permanent avec de jeunes enfants par exemple)
  • ou lorsqu’une pratique religieuse individuelle ou collective porte atteinte au respect des libertés et droits de chacun (droit de croire ou pas ou égalité hommes/femmes par exemple).

Le règlement intérieur est donc un outil à disposition de l’entreprise pour limiter la liberté d’expression religieuse des salariés.

Pour introduire une clause de neutralité, le règlement intérieur de l’entreprise doit être modifié. A ce titre, la modification doit être soumise à l’avis du comité d’entreprise, ou à défaut des délégués du personnel, et du CHSCT s’il est compétent.

Elle doit aussi faire l’objet de la publicité nécessaire, et être déposée du conseil de prud’hommes du ressort de l’entreprise.

Elle doit aussi être transmise transmis à l’inspecteur du travail en deux exemplaires. (Articles R1321-1 et suivants du Code du travail).

  1. Enl’absencedemiseenplacederègleinterne

En l’absence de règle interne relative à la neutralité des salariés – comme prévue dans le règlement intérieur – est-il possible de limiter la liberté d’expression religieuse des salariés ?

Comme il a été expliqué ci-avant, un limitation des libertés des salariés est possible si elle est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché (L. 1121-1 du Code du travail).

L’article L 1133-1 du même code précise ce point, en expliquant qu’il faut justifier la restriction de liberté par une « exigence professionnelle essentielle et déterminante ». Lorsqu’une différence de traitement est directement fondée sur la religion du salarié, la discrimination ne peut donc être exclue qu’en présence d’une exigence professionnelle nécessaire et déterminante.

Ce qui doit constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante n’est pas le motif sur lequel est fondé la différence de traitement, mais une caractéristique liée à ce motif, et ce, dans des conditions très limitées.

Cette notion renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause et ne saurait couvrir des considérations subjectives.

A ce titre, il a été jugé qu’est subjective la volonté de l’employeur de se conformer au souhait particulier de la clientèle, consistant en l’espèce à ne pas travailler avec une femme portant un voile. En conséquence, elle ne constitue pas une exigence professionnelle susceptible d’exclure la qualification de discrimination.

Ainsi donc, le licenciement motivé par le refus de la salariée d’ôter son voile à la suite de la demande du client est discriminatoire. (CJUE 14 mars 2017 aff. 188/15)

  1. Comment justifier la mise en place de la neutralité dans l’entreprise ?

Qu’elle passe ou pas par le règlement intérieur pour restreindre la liberté d’expression religieuse, l’entreprise doit être vigilante : les restrictions doivent être justifiées de manière objective et factuelle. La justification ne doit jamais être discriminatoire ou créatrice de différences de traitement.

Mais concrètement, comment justifier des limitations à la liberté d’expression religieuse ?

  1. Les nécessités de l’activité de l’entreprise

Par exemple, a été jugée licite une clause d’un règlement intérieur qui imposait la neutralité religieuse au personnel d’une crèche qui était en contact permanent avec des enfants (Arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 2013, n° 11-28.845, affaire « Babyloup »). Dans le même sens, l’entreprise peut exiger d’un salarié qu’il ne prie pas pendant son temps de travail.

Ce faisant, elle limite sa liberté religieuse de manière justifiée puisque le salarié doit se consacrer pleinement au travail pendant le temps de travail.

A l’inverse, un salarié qui prie pendant son temps de pause, sans gêner l’exécution du travail, même lorsqu’il le fait sur le lieu de travail ne peut pas en être empêché par l’entreprise. En effet, dans ce cas, restreindre la liberté du salarié ne serait pas justifié de manière objective.

Il a été jugé par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE 14 mars 2017 aff. 157/15) que la volonté d’une entreprise d’afficher, dans les relations avec les clients tant publics que privés, une politique de neutralité politique, philosophique ou religieuse doit être considérée comme légitime. Pour contraindre les salariés à rester neutres, il est donc nécessaire pour l’entreprise :

  • D’établir une règle interne relative à la neutralité politique, philosophique ou religieuse
  • D’appliquer cette règle de manière cohérente et systématique

Rappelons enfin que la volonté de l’employeur de se conformer au souhait particulier de la clientèle, consistant par exemple à ne pas travailler avec une femme portant un voile n’est pas légitime : il ne s’agit pas d’une nécessité liée à l’activité de l’entreprise qui peut justifier une restriction à la liberté d’expression religieuse.

  1. La santé et la sécurité au travail

La santé et la sécurité au travail justifient la limitation de l’expression religieuse. Par exemple, si le port d’un signe religieux empêche le port obligatoire du casque ou de la charlotte, il doit être retiré.

En la matière, il est important de rappeler que l’entreprise est responsable de la santé et de la sécurité des salariés. Celle-ci peut donc légitimement retirer un salarié de son poste de travail par précaution à cause de la pratique religieuse du jeûne. Pendant la période de retrait, l’entreprise n’est pas tenue de maintenir la rémunération du salarié.

Elle peut aussi aménager les horaires de travail ou changer l’affectation du salarié, sans ce que cela soit considéré comme une sanction disciplinaire.

Toutes ces mesures sont possibles lorsqu’elles sont justifiées par les normes de santé et de sécurité au travail.

  1. Le respect d’autres droits et libertés

L’entreprise peut aussi limiter la libre expression religieuse parce qu’elle porte atteinte au respect d’autres droits et libertés. Par exemple, un comportement religieux contraire au principe d’égalité entre les sexes ou à la liberté de ne pas croire peut être neutralisé. C’est le cas d’un salarié qui refuse d’obéir à sa supérieure hiérarchique pour des motifs religieux.

Ces limitations doivent aussi être proportionnées par rapport au but recherché. C’est pour cela qu’il est impossible de mettre en place des interdictions générales et absolues.

  1. La liberté d’expression religieuse ne réduit pas le pouvoir disciplinaire de l’employeur
  2. Les abus de liberté d’expression religieuse sont répréhensibles

Dans les entreprises, les salariés ont le droit d’exprimer librement leurs convictions religieuses. Mais cette liberté n’est pas absolue. Lorsqu’elle est exercée abusivement, elle peut constituer une faute que l’entreprise peut sanctionner.

C’est ainsi que le prosélytisme est interdit lorsqu’il conduit à la réalisation d’une faute. Il s’agit du zèle ardent du salarié qui veut imposer ses convictions et ses pratiques religieuses, ou recruter des adeptes. C’est un abus de la liberté d’expression du salarié que l’entreprise peut sanctionner lorsqu’il contrevient à la bonne marche de l’entreprise.

Par exemple, a aussi été jugé valable le licenciement d’un salarié qui s’est désintéressé de son travail pour laisser libre cours à un souci permanent de prosélytisme, ce qui avait eu pour conséquence de désorganiser le travail et de créer une incompatibilité d’humeur avec ses collègues. (Cour d’Appel de Basse-Terre, le 6 novembre 2006).

Plus largement, lorsque la pratique religieuse conduit le salarié à commettre une faute, elle peut être sanctionnée.

Il en a été jugé ainsi pour un salarié boucher qui refusait d’être en contact avec de la viande de porc pour des motifs religieux, alors qu’il n’avait fait valoir aucune objection lors de son recrutement (Cour de cassation, le 24 mars 1998 n° 95-44.738).

Il en est de même pour un salarié qui s’absente sans justification pour célébrer une fête religieuse, ou qui refuse de se soumettre à la visite médicale obligatoire en raison de ses convictions religieuses. Dans ces cas, il commet aussi une faute dans l’exécution de son contrat de travail.

Dans tous ces cas, la sanction est possible en raison de la faute commise, et pas en raison du motif religieux invoqué.

  1. Il est préférable de prévenir et concilier plutôt que de sanctionner

Si l’entreprise peut limiter la liberté d’expression religieuse ou sanctionner ses abus, elle peut aussi s’adapter. Face à des sujets aussi sensibles, il est plus facile de trouver des solutions par la concertation que par la confrontation et la sanction.

A ce titre, il est possible d’adapter les horaires de travail des salariés en fonction de leurs pratiques religieuses. En effet, c’est l’employeur qui décide de l’organisation du temps de travail. Mais l’employeur n’est pas non plus tenu de tenir compte des pratiques religieuses de ses salariés pour modifier les horaires de travail.

Il en est de même dans le cadre des restaurants d’entreprise : l’entreprise n’est pas tenue de répondre positivement à des demandes de repas spécifiques formulées pour des motifs religieux.

La même solution sera formulée en ce qui concerne les demandes de financement de projets confessionnels adressées au comité d’entreprise.

Certains problèmes peuvent en effet être résolus par une clause particulière du contrat de travail autorisant par exemple un salarié à pratiquer des pauses en vue d’accomplir un devoir religieux ou dispensant de service un salarié le jour de certaines fêtes religieuses.

Le même résultat peut être atteint par une convention ou un accord collectif, voire par une note de service prise en vertu du pouvoir de direction.

Rappelons qu’à défaut d’un accord ou d’une autorisation spéciale, le salarié ne peut prétendre justifier des absences ou des refus de travail par des exigences religieuses : il commet une faute répréhensible.

Si des aménagements relatifs à la pratique religieuse sont portés, ils doivent toujours respecter les principes de non-discrimination, et d’égalité de traitement entre salariés. Par exemple, si un repas spécifique à une religion est servi dans le restaurant d’entreprise, il ne pourra pas être opposé de refus aux demandes formulées pour d’autres repas spécifiques.

Les principes de non discrimination et d’égalité de traitement sont en effet centraux, dans des sujets qui touchent aux libertés des salariés. C’est aussi à ce titre qu’il n’est pas possible pour l’entreprise de demander aux salariés de renseigner leur confession, pour les intégrer dans les outils de gestion du personnel.

Une décision de gestion motivée par la religion est discriminatoire.

 

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