PRESENTATION DU GUIDE DU MINISTERE DU TRAVAIL SUR LE FAIT RELIGIEUX DANS L’ENTREPRISE
Les entreprises sont parfois confrontées à la volonté des salariés d’exprimer leurs convictions religieuses, et les réponses à apporter ne sont pas toujours évidentes. La Loi du 8 août 2016 est ainsi venue donner une base juridique aux entreprises, notamment s’agissant des possibilités d’instaurer une neutralité religieuse dans le règlement intérieur (nouvel article L.1321-2-1 du Code du travail), selon les termes suivants :
« Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés, si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. »
Le règlement intérieur est en effet un « outil » à disposition de l’entreprise pour limiter la liberté d’expression religieuse des salariés. Toutefois, certains éclaircissements juridiques sont nécessaires et c’est pourquoi le Ministère du Travail a émis un guide pratique destiné aux entreprises. Ce guide pratique a pour objet d’apporter des réponses concrètes aux questions des salariés et des employeurs portant sur le fait religieux dans l’entreprise. Il a été élaboré par l’Etat en étroite concertation avec les organisations syndicales et patronales.
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Il est ainsi notamment rappelé, dans ce guide, que par principe, les salariés ont le droit d’exprimer librement leurs convictions religieuses dans les entreprises. Cette liberté n’est toutefois pas absolue et, lorsqu’elle est exercée abusivement, elle peut constituer une faute que l’entreprise peut sanctionner. Notamment, le prosélytisme, lorsqu’il contrevient à la bonne marche de l’entreprise, est strictement interdit. Par exemple, a été jugé valable le licenciement d’un salarié qui s’est désintéressé de son travail pour laisser libre cours à un souci permanent de prosélytisme, ce qui a eu pour conséquence de désorganiser le travail et de créer une incompatibilité d’humeur avec ses collègues. (Cour d’Appel de Basse-Terre, le 6 novembre 2006). Plus largement, lorsque la pratique religieuse conduit le salarié à commettre une faute ou ne plus exécuter ses fonctions correctement, une sanction peut être prise. Il en a été jugé ainsi pour un salarié boucher qui refusait d’être en contact avec de la viande de porc pour des motifs religieux, alors qu’il n’avait fait valoir aucune objection lors de son recrutement (Jurisprudence de la Cour de cassation, le 24 mars 1998 n° 95-44.738). Il en est de même pour un salarié qui s’absente sans justification pour célébrer une fête religieuse, ou qui refuse de se soumettre à la visite médicale obligatoire en raison de ses convictions religieuses. Dans tous ces cas, il convient de retenir que la sanction est possible en raison de la faute commise, et non pas en raison du motif religieux invoqué. En tout état de cause, même lorsqu’il n’y a pas d’abus qui constituerait une faute, il est possible de restreindre, dans certaines conditions, la liberté d’expression religieuse, en respectant les principes fondamentaux du Code du travail relatifs aux restrictions aux libertés des salariés qui doivent quoi qu’il en soit être justifiées et proportionnées (article L. 1121-1 du Code du travail). Par exemple, l’entreprise peut filtrer l’accès aux sites internet à caractère religieux, dans la mesure où cette restriction est justifiée par la nature de la tâche à accomplir, puisque l’objectif est que les salariés se concentrent sur leur travail. Elle est aussi proportionnée au but recherché, puisque ce ne sont que les sites à caractère religieux qui ont été filtrés. Qu’elle passe ou pas par le règlement intérieur pour restreindre la liberté d’expression religieuse, l’entreprise doit quoi qu’il en soit être vigilante, puisque les restrictions doivent être justifiées de manière objective et factuelle. La justification ne doit jamais être discriminatoire ou créatrice de différences de traitement. Si des aménagements relatifs à la pratique religieuse sont portés, ils doivent ainsi toujours respecter les principes de non-discrimination, et d’égalité de traitement entre salariés. Par exemple, si un repas spécifique à une religion est servi dans le restaurant d’entreprise, il ne pourra pas être opposé de refus aux demandes formulées pour d’autres repas spécifiques. Les principes de non discrimination et d’égalité de traitement sont en effet centraux, dans des sujets qui touchent aux libertés des salariés. C’est aussi à ce titre qu’il n’est pas possible pour l’entreprise de demander aux salariés de renseigner leur confession, pour les intégrer dans les outils de gestion du personnel, dans la mesure où une décision de gestion motivée par la religion est discriminatoire.
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Concrètement, des limitations à la liberté d’expression religieuse peuvent être justifiées de la manière suivante :
- Les nécessités de l’activité de l’entreprise, comme le contact avec les clients, ou le port d’une tenue de travail spécifique sont valables.
Par exemple, a été jugée licite une clause d’un règlement intérieur qui imposait la neutralité religieuse au personnel d’une crèche qui était en contact permanent avec des enfants (Arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 2013, n° 11-28.845, affaire « Babyloup »). Dans le même sens, l’entreprise peut exiger d’un salarié qu’il ne prie pas pendant son temps de travail. A l’inverse, un salarié qui prie pendant son temps de pause, sans gêner l’exécution du travail, même lorsqu’il le fait sur le lieu de travail, ne peut pas en être empêché par l’entreprise. En effet, dans ce cas, restreindre la liberté du salarié ne serait pas justifié de manière objective.
- La santé et la sécurité au travail justifient la limitation de l’expression religieuse.
Par exemple, si le port d’un signe religieux empêche le port obligatoire du casque ou de la charlotte, il doit être retiré. En la matière, il est important de rappeler que l’entreprise est responsable de la santé et de la sécurité des salariés. Celle-ci peut donc légitimement retirer un salarié de son poste de travail par précaution, à cause de la pratique religieuse du jeûne. Pendant la période de retrait, l’entreprise n’est pas tenue de maintenir la rémunération du salarié. Elle peut aussi aménager les horaires de travail ou changer l’affectation du salarié, sans ce que cela soit considéré comme une sanction disciplinaire. Toutes ces mesures sont possibles lorsqu’elles sont justifiées par les normes de santé et de sécurité au travail.
- L’entreprise peut aussi limiter la libre expression religieuse parce qu’elle porte atteinte au respect d’autres droits et libertés.
Par exemple, un comportement religieux contraire au principe d’égalité entre les sexes ou à la liberté de ne pas croire peut être neutralisé. C’est le cas d’un salarié qui refuse d’obéir à sa supérieure hiérarchique pour des motifs religieux. Ces limitations doivent être proportionnées par rapport au but recherché. C’est pour cela qu’il est impossible de mettre en place des interdictions générales et absolues. Enfin, le guide rappelle que si l’entreprise peut limiter la liberté d’expression religieuse ou sanctionner ses abus, elle peut aussi s’adapter. Face à des sujets aussi sensibles, il est plus facile de trouver des solutions par la concertation que par la confrontation et la sanction. Nous restons à votre entière disposition pour toute information complémentaire, ainsi que pour vous accompagner pour toute démarche à ce titre, notamment pour modifier votre règlement intérieur ou votre charte informatique.