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Guide sur le travail dissimulé

GUIDE SUR LE TRAVAIL DISSIMULE

    1. Sommaire
    2. Introduction
    3. Qu’est-ce que le travail dissimulé ?
    4. Les obligations légales des entreprises en matière de lutte contre le travail dissimulé
    5. Les sanctions prévues par la loi en cas d’infraction
    6. Quelques cas de vigilance spécifiques
    7. Comment se prémunir des risques afférents à ces obligations ?
    1. Introduction  

Le travail dissimulé est un problème majeur pour la société française. D’une part, il porte atteinte à notre modèle social, mais il pèse aussi sur les entreprises et les salariés qui respectent la réglementation du travail et, de fait, supportent les conséquences financières de la fraude.

Ce sujet constitue donc une priorité gouvernementale, qui s’est traduite par une intensification des contrôles menés par les services de l’État et les organismes de protection sociale. Cette priorité s’est également traduite par un renforcement de la législation obligeant les entreprises co-contractantes à procéder, en lieu et place de l’État, à un certain nombre de contrôles. C’est le sens de plusieurs décrets publiés en octobre 2005, mai 2007, novembre 2011, mars 2015 et janvier 2016, instituant « l’obligation de vigilance des entreprises ».

Lorsque l’on évoque le travail dissimulé, on pense de prime abord aux secteurs d’activité où l’emploi de main d’œuvre est le plus élevé. On pense donc en premier lieu à l’industrie du bâtiment ou à la restauration. Pourtant, tous les secteurs d’activité sont concernés par le travail dissimulé, qui recouvre d’ailleurs de multiples fraudes. Et le secteur des prestations intellectuelles l’est également, notamment car évoluent dans ce domaine beaucoup de travailleurs indépendants et d’autoentrepreneurs.

Le but de ce petit guide que nous mettons à votre disposition est d’informer les commanditaires de prestations externalisées sur le sujet du travail dissimulé, et de les alerter sur les risques financiers et judiciaires qu’ils encourent si leurs prestataires ne respectent pas la loi en la matière.

Vous trouverez donc dans ce petit manuel les principales informations à connaître sur ce sujet. Il propose une définition précise et complète de la notion de travail dissimulé, expose les obligations légales en la matière ainsi que les sanctions prévues par la loi, et explore des pistes de solution pour se prémunir de ces risques.

Nous vous en souhaitons une agréable lecture.

  1. Qu’est-ce que le travail dissimulé ?

Pour la loi, la notion de travail dissimulé est plus restrictive que celle de travail illégal. La définition large est celle du travail illégal. Ce dernier se matérialise par différentes infractions, parmi lesquelles on retrouve le travail dissimulé, le prêt illicite de main d’œuvre, le marchandage, l’emploi d’étrangers sans titre de travail, le cumul irrégulier d’emplois et les fraudes à l’assurance chômage.

La notion de travail dissimulé recouvre principalement deux fraudes.
D’une part, la dissimulation totale ou partielle d’activité se caractérisant par exemple par un défaut d’immatriculation à un registre professionnel, la poursuite d’une activité au mépris d’une autorisation, ou bien encore un défaut de déclaration aux organismes sociaux.
D’autre part, la dissimulation totale ou partielle d’emploi pouvant se manifester par l’absence de déclaration préalable à l’embauche, l’absence de délivrance d’un bulletin de salaire, la non-régularité d’un bulletin de salaire mentionnant un volume d’heures non conforme aux heures effectivement exécutées, ou bien encore par le non-paiement des heures supplémentaires.
En outre, la notion de travail dissimulé comprend aussi l’utilisation de faux statuts, c’est-à- dire le recours à des formes contractuelles non conformes à la pratique opérationnelle des personnes travaillant sous ce statut. À titre d’exemple, cela peut concerner le recours aux statuts de stagiaire, d’indépendant ou de bénévole, déguisant ainsi l’exercice d’une vraie activité professionnelle, ou le détournement de la notion de sous-traitance.
Bien que plus réduit que le travail illégal, le spectre d’application de la notion de travail dissimulé est donc relativement large.

En plus d’être bien définie par la loi, la notion de travail dissimulé est aussi peu fluctuante. En effet, dans la mesure où il s’agit d’une infraction pénale, la loi doit être interprétée de façon très stricte. Ainsi, un juge qui intervient sur ce terrain ne peut pas en élargir la définition : il est obligé constater que les critères de la définition légale sont remplis pour, le cas échéant, mettre en œuvre les condamnations associées à cette infraction.

En revanche, au civil, le juge prud’homal a un pouvoir de qualification dans le cadre des sanctions civiles qui peuvent être attachées à cette infraction.

      1. Les obligations légales des entreprises en matière de lutte contre le travail dissimulé

En matière de lutte contre le travail dissimulé, la loi fixe un certain nombre d’obligations aux entreprises. C’est ce que l’on appelle « l’obligation de vigilance ». Ainsi, pour chaque contrat de plus de 5 000 euros hors taxes1 (article R.8222-1 du Code du Travail), une entreprise doit collecter auprès de son co-contractant (prestataire, fournisseur, sous-traitant), trois documents obligatoires (article L.8222-1 du Code du Travail) :

      • ●  Un extrait d’immatriculation au RCS (Registre du Commerce et des Sociétés) ou Kbis, permettant de vérifier l’existence légale de l’entreprise ;
      • ●  Une attestation de vigilance, provenant de l’URSSAF, du RSI2 ou de la MSA3, selon la caisse à laquelle cotise le cocontractant, pour vérifier que l’entreprise cotise bien auprès des différentes caisses pour ses salariés ;
      • ●  La liste nominative des salariés étrangers du cocontractant, hors espace économique européen. Si une entreprise n’emploie pas de salariés étrangers, il est préférable de fournir une attestation sur l’honneur indiquant que l’entreprise n’emploie pas de salariés étrangers4.Ces pièces doivent être collectées avant de passer un contrat de plus de 5 000 euros hors taxes. Il est indispensable qu’elles soient récoltées pour l’ensemble des fournisseurs concernés. Il est également à noter que la notion de contrat de 5 000 euros hors taxes est large : plusieurs commandes dont le total est supérieur à 5 000 euros hors taxes impliquent de récolter ces documents. La loi impose également de réitérer cette démarche tous les semestres, si le contrat se poursuit dans le temps.1 Initialement fixé à 3 000 euros, le seuil à partir duquel l’obligation de vigilance s’applique a été relevé au 1er avril 2015 à 5 000 euros hors taxes, par l’article 13 du décret n° 2015-364.
        2 Régime Social des Indépendants.
        3 Mutualité Sociale Agricole.4 Liste des pays dont les salariés nationaux ne sont pas concernés par les dispositions de l’article L 5221-2 du Code du travail relatives au travail des étrangers en France. Les salariés de ces pays ne doivent pas figurer sur la liste des salariés étrangers : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Grèce, Hongrie, Irlande, Islande, Italie, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Malte, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie, Slovénie, Suède.

C’est donc une contrainte et un casse-tête administratif pour beaucoup d’entreprises en France. Cette obligation est très lourde à gérer pour de petites entreprises notamment, a fortiori lorsque le volume de fournisseurs et de sous-traitants augmente et qu’il faut réitérer la démarche tous les six mois.

Ces obligations s’imposent à toutes les entreprises et à tous les secteurs d’activité. L’idée reçue selon laquelle cette obligation ne concerne que les prestations de main d’œuvre est totalement fausse.

Par ailleurs, outre la collecte des trois documents obligatoires, la loi requiert aussi un minimum de vérification. Ainsi, pour l’attestation de vigilance URSSAF, un code de sécurité est fourni et doit être saisi par le donneur d’ordres afin de valider la conformité du document : il lui incombe donc de saisir sur le site internet de l’URSSAF ce code de sécurité pour s’assurer de la validité du document communiqué. Là encore, il importe de renouveler cette opération chaque semestre si le contrat se poursuit dans le temps.

S’agissant de la liste des salariés étrangers, il importe de vérifier la véracité du document en relevant la présence d’un certain nombre de mentions obligatoires (date d’embauche, titre de séjour, nationalité, certains numéros, etc.). Il s’agit de vérifier que les informations obligatoires sont bien mentionnées dans le document, là encore pour s’assurer de la conformité du document fourni.

Ces vérifications, de même que le recueil des documents, doivent être effectuées semestriellement.

Il faut préciser que la réglementation sur la prévention du travail dissimulé ne prévoit que la détention des informations légales de son sous-traitant de rang 1. Dans le cas général, un donneur d’ordres n’est donc pas obligé de vérifier la conformité aux lois du sous-traitant de son sous-traitant. Néanmoins, il existe des réglementations spécifiques, dans le domaine du BTP par exemple, qui imposent d’aller plus loin dans le contrôle de la chaîne de sous- traitance.

Pour autant, il faut retenir que, en général, le fait de détenir les documents de son sous- traitant de rang 1 casse la coresponsabilité sur la chaîne des sous-traitants. Ce principe doit inciter encore plus les entreprises à respecter leurs obligations en matière de lutte contre le travail dissimulé, car il permet d’éviter d’être impliqué dans un engrenage.

        1. Les sanctions prévues par la loi en cas d’infraction

Le spectre des sanctions prévues pour la dissimulation d’activité économique ou la dissimulation d’emplois salariés est très large.

D’une part, des sanctions pénales sont prévues, à hauteur de 45 000 euros d’amende et trois ans de prison pour une personne physique. Pour une personne morale, l’amende maximale se monte à 225 000 euros. Un placement sous surveillance judiciaire est également possible.

D’autre part, au titre des sanctions civiles, l’arsenal législatif prévoit notamment un rappel de cotisations sur les revenus réels ou estimés, la taxation forfaitaire, l’annulation du bénéfice des réductions et/ou exonérations de cotisations sociales et le versement de six mois de salaire au profit du salarié.

Il est à noter que le risque de régularisation des charges sociales peut être réparti entre le donneur d’ordre et son fournisseur. La loi prévoit en effet une notion de coresponsabilité : le donneur d’ordre est censé avoir collecté et vérifié les différents documents obligatoires. S’il ne l’a pas fait, la jurisprudence est précise : la non-détention des documents caractérise le délit. Ainsi, le simple fait de demander les trois documents obligatoires ne suffit pas. Il faut absolument les obtenir et les vérifier. En outre, si un prestataire fraudeur dépose le bilan, l’ensemble des charges à régulariser pèsera sur le donneur d’ordre. Le risque est donc très fort.

Par ailleurs, dans le domaine des sanctions administratives, la loi prévoit la dissolution de la personne morale si celle-ci a été créée pour commettre les faits, l’interdiction d’exercer une activité pendant cinq ans directement ou par personnes interposées, la fermeture temporaire d’établissement jusqu’à trois mois sur simple transmission du procès-verbal ou d’un rapport établi par un agent de contrôle5 au préfet, l’exclusion des marchés publics, le remboursement des aides publiques octroyées au cours des douze mois qui ont précédé l’établissement du procès-verbal, et le refus des aides publiques à l’emploi et à la formation professionnelle pour une durée maximale de cinq ans.

5 Depuis la loi Macron du 6 août 2015, la sanction de fermeture administrative de l’établissement ayant servi à commettre une infraction de travail illégal peut désormais être prononcée par le préfet sur la base d’un rapport établi par un agent de contrôle (de l’inspection du travail, des impôts et des douanes, de la police judiciaire…). Auparavant, seule la transmission du procès-verbal ne pouvait engendrer cette mesure.

De plus, tout employeur établi à l’étranger et qui souhaite détacher des salariés en France doit faire une déclaration de détachement et désigner un représentant en France. S’il manque à ses obligations, il se voit désormais appliquer une amende administrative pouvant aller jusqu’à 500 000 euros6.

En cas de manquement grave aux règles essentielles du droit du travail dans le cadre d’un détachement, le DIRECCTE peut désormais prononcer la suspension de la prestation de service internationale.
En outre, la loi Travail du 8 août 2016 et son décret d’application du 5 mai 2017 sont venus préciser la mise en œuvre de la fermeture temporaire de l’établissement concernant le secteur du BTP en venant modifier l’article L8272-2, à savoir que la fermeture temporaire prend la forme d’un arrêt de l’activité de l’entreprise sur le site dans lequel a été commis l’infraction. De plus, si cette fermeture est devenue sans objet parce que l’activité est déjà achevée ou a été interrompue, l’autorité administrative peut prononcer l’arrêt de l’activité de l’entreprise sur un autre site.

Enfin, des peines complémentaires sont également envisagées par la loi, à savoir l’affichage dans la presse du jugement aux frais de la personne condamnée, la confiscation de la chose qui a servi ou devait servir à commettre l’infraction ou qui en est le produit, et l’interdiction d’exercer une fonction publique. Le juge pénal peut également condamner une entreprise coupable de travail illégal à une peine complémentaire de publication du nom de l’entreprise sur le site internet du ministère du travail.

Bien évidemment, ces sanctions ne sont pas toutes systématiquement appliquées, mais elles témoignent du champ des possibles en cas d’infraction constatée à la législation sur le travail dissimulé.

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En matière de lutte contre le travail dissimulé, le but de l’administration est très clair. Le contenu des différentes lois de financement de la Sécurité sociale souligne la volonté des gouvernements successifs de renforcer le volet répressif concernant le travail dissimulé, tout en y associant une politique de prévention qui entend cadrer le contrôle lié à l’arsenal en question.

6 Initiée par la loi Savary du 10 juillet 2014, cette amende administrative, initialement plafonnée à 10 000€, s’est vue être augmentée à un maximum de 500 000€ par la loi Macron du 6 août 2015.

Pour que des sanctions soient prononcées, il faut qu’un délit soit constaté. Un pouvoir d’administration générale est dévolu à certaines administrations telles que l’Inspection du Travail ou les URSSAF. Ces administrations diligentent donc des contrôles, dont la fréquence est aléatoire. Il existe cependant un cadrage plus spécifique du contrôle, qui cible notamment certains secteurs plus coutumiers des infractions aux lois sur le travail dissimulé. Ces secteurs, comme le bâtiment, l’industrie textile ou la restauration, font donc l’objet de contrôles, sinon plus fréquents, au moins renforcés périodiquement. En outre, il est possible que des contrôles soient réalisés directement par la gendarmerie, qui peut intervenir notamment dans le secteur du bâtiment directement sur les chantiers, en verrouillant les accès et en demandant la production des documents obligatoires.

De fait, les risques d’infraction sont les plus importants dans les secteurs d’emploi de main d’œuvre, comme le bâtiment ou la restauration, mais le domaine des prestations intellectuelles est aussi concerné, en raison de la présence de nombreux free-lance dans ce secteur d’activité.

En outre, globalement, toutes les entreprises, et notamment les plus importantes, ont recours à de nombreux métiers différents, avec des typologies différentes : elles encourent donc toutes potentiellement un risque, notamment du fait de la notion de coresponsabilité évoquée précédemment.

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Les peines prononcées à l’issue des contrôles réalisés, lorsque l’infraction est constatée, dépendent de la gravité de celle-ci. Plus le caractère aggravant des circonstances, des moyens utilisés et de l’intention est lourd, plus la sanction est importante. La récidive est aussi un facteur décisif dans la lourdeur des peines prononcées.

        1. Quelques cas de vigilance spécifiques

S’agissant des risques encourus en matière de travail dissimulé, il importe d’être vigilant concernant plusieurs formes particulières de travail que sont le bénévolat, les stages, les travailleurs indépendants, la sous-traitance, l’intérim ainsi que le détachement transnational de travailleurs.

La loi ne définit pas clairement le bénévolat. Seule la jurisprudence peut le considérer comme exclu du champ d’application de la réglementation du travail. Le principe de base légal est le suivant : dès lors que l’on fait travailler une personne, celle-ci est présumée devoir être rémunérée sur la base de l’activité qu’elle fournit. En clair, le bénévolat n’existe pas aux yeux de la loi, sauf dans des circonstances particulières qui peuvent le légitimer. Le seul cas de bénévolat acceptable d’un point de vue légal est l’entraide familiale, qui est encore appréciée très restrictivement. Le seul fait d’avoir un lien de parenté avec la personne concernée ne justifie pas le bénévolat. Cette caractérisation est donc le fruit d’une appréciation empirique de la jurisprudence.

S’agissant des stages, il existe une réglementation spécifique. La loi a renforcé ces dernières années la protection des stagiaires, dans le sens où la réglementation actuelle prévoit qu’un stagiaire n’a pas vocation à occuper une activité permanente qui correspondrait à un poste lié à l’activité normale de l’entreprise. Le stagiaire est là pour se forger une connaissance de l’activité de l’entreprise, et non pas pour concourir à une action permanente et régulière de l’entreprise, qui justifierait un contrat de travail. Ainsi, la loi Travail du 8 août 2016 a développé les dispositions relatives aux stagiaires en introduisant l’article L.8223-1-1 dans le code du travail. En vertu de ces dispositions, lorsqu’un agent de contrôle de l’inspection du travail constate qu’un stagiaire occupe un poste de travail pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent, pour faire face à un accroissement temporaire de l’activité de l’organisme d’accueil, pour occuper un emploi saisonnier ou pour remplacer un salarié ou un agent, il en informe le stagiaire, l’établissement d’enseignement dont il relève, ainsi que les institutions représentatives du personnel de l’organisme d’accueil.

Les travailleurs indépendants, comme leurs noms l’indiquent, sont identifiés et affiliés de façon spécifique. En termes d’obligations, la loi ne fixe pas de conditions supplémentaires lorsqu’une entreprise contracte avec un travailleur indépendant. Les obligations légales du donneur d’ordres sont classiques (production d’un justificatif d’immatriculation au registre des métiers, d’une attestation de vigilance du RSI, etc.). Les autoentrepreneurs sont traités de la même manière que les travailleurs indépendants.

Néanmoins, l’activité indépendante peut prendre un caractère infractionnel au regard de la loi sur le travail dissimulé si les conditions suivantes ne sont pas respectées : les obligations liées au caractère indépendant de la personne sont-elles respectées ? Existe-t-il un lien de subordination et un service organisé ? Si le caractère indépendant de la personne n’est pas reconnu et qu’il existe un lien de subordination et un service organisé, l’infraction peut être constatée, ces deux critères caractérisant l’existence d’un contrat de travail. Ainsi, si grâce à la méthode du faisceau d’indices, la justice établit l’existence d’un service organisé et d’un lien de subordination, le statut d’indépendant tombe de fait. Malgré l’actualisation donnée à de nouvelles formes de travail indépendant, telles que l’auto-entreprenariat, les éléments jurisprudentiels liant la remise en cause de ces statuts au bénéfice de la requalification au contrat de travail restent identiques.

La sous-traitance est, par nature pour la législation, une forme particulière d’activité économique, qu’elle appréhende avec prudence. La sous-traitance est très clairement définie par les textes comme la poursuite de l’activité de l’entrepreneur principal. Le sous-traitant ne peut pas, à lui seul, réaliser l’activité en tant que telle : il est un des maillons de la chaîne d’une activité économique globale.

Cette forme d’activité économique est accompagnée d’obligations supplémentaires. Dès lors que l’on entre dans un schéma de sous-traitance, il faut être très prudent dans le respect des obligations qui en découlent et dans l’opérationnalité de la mise en œuvre de cette activité, car le législateur définit la sous-traitance comme une activité qu’il faut davantage surveiller, au regard des abus qui peuvent en découler. La sous-traitance ne doit pas être un moyen de détourner la législation.

S’agissant du cas spécifique de l’intérim, les mêmes obligations légales s’appliquent, sauf pour la liste des salariés étrangers : la communication de la liste nominative des salariés étrangers est réputée accomplie lorsque les informations relatives aux salariés figurent dans le contrat de mise à disposition conclu avec l’utilisateur.

La réglementation française s’applique aussi à un donneur d’ordres français qui fait intervenir sur le territoire national une entreprise étrangère. La loi prévoit dans ce cas que le donneur d’ordres doit récolter un équivalent de chacun des trois documents obligatoires 7. Il faut donc trouver, dans le pays concerné, un équivalent aux trois documents demandés, chacun traduit en langue française (régularité de la situation fiscale et sociale ainsi que l’inscription à un registre professionnel étranger. En matière de régularité de la situation sociale du cocontractant, les entreprises peuvent utiliser le site internet du CLEISS (Centre des Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale) qui référence les équivalences de documents entre certains pays : ces informations permettent de connaître les documents à collecter dans chaque pays.

Enfin, il convient de rappeler que l’ensemble de ces dispositions sont applicables lorsque l’entreprise se trouve dans la situation d’accueillir des salariés détachés.8 En effet, outre les obligations spécifiquement applicables au détachement, à savoir, la vérification de la déclaration préalable de détachement et la nomination d’un correspondant en France durant l’ensemble de la prestation9, le donneur d’ordre doit s’assurer que son cocontractant ne se place pas dans une situation caractérisant le travail dissimulé.

Notons que la loi Macron du 6 août 2015 et son décret d’application du 19 janvier 2016 ont explicité les mentions obligatoires que doit comporter la déclaration préalable à l’embauche des salariés détachés en France, et renforcent la responsabilité des maîtres d’ouvrage et donneurs d’ordre en matière de paiement des salariés tout en précisant les modalités de l’amende administrative encourue par l’employeur en cas de non-respect de ses obligations. La loi Travail du 8 août 2016 et son décret d’application du 5 mai 2017 ont introduit l’obligation pour le donneur d’ordre français de fournir aux travailleurs détachés sur des chantiers du BTP avec leur carte d’identification professionnelle, obligatoire depuis le 22 mars 2017, un document d’information présentant la réglementation française qui leur est applicable et les modalités selon lesquelles ils peuvent faire valoir leurs droits. Ils prévoient également l’obligation pour le maître d’ouvrage, sous peine d’une amende administrative, de porter à la connaissance des salariés détachés travaillant sur les chantiers du bâtiment ou du génie civil, par voie d’affichage sur les lieux de travail, les informations sur la réglementation française de droit du travail applicable aux salariés détachés en France.

7 L’article D8222-7 du Code du travail fixe la liste des documents que doit se faire remettre le donneur d’ordre ou maître d’ouvrage lorsqu’il contracte pour une prestation de service avec un cocontractant établi à l’étranger.
8 L’article L1261-2 du Code du travail précise : « Les obligations et interdictions qui s’imposent aux entreprises françaises lorsqu’elles font appel à des prestataires de services, notamment celles relatives au travail illégal mentionnées à l’article L. 8211-1, s’appliquent dans les mêmes conditions lorsque les prestations de services sont réalisées par des entreprises établies hors de France détachant du personnel sur le territoire national, selon des modalités définies par décret en Conseil d’État. »
9 Article L1262-2-1 du Code du travail pour l’entreprise procédant au détachement et article L1262-4-1 pour le donneur d’ordre. Il est enfin à préciser qu’en cas de non-respect de leurs obligations de déclaration et vérification, donneur d’ordre et prestataire encourent une amende administrative. Les organisations syndicales représentatives peuvent également intenter toute action résultant de l’application des dispositions applicables au détachement au bénéfice d’un salarié (C. trav., art. L1265-1).

***

Concernant ces différentes formes de travail, il faut avoir une double approche de prévention et de contrôle. Tout d’abord, il est évident qu’il ne faut jamais se mettre en exonération des obligations réglementaires ou légales qui existent pour ces schémas particuliers. En clair, il faut d’abord respecter la loi.

Pour autant, même en respectant ses obligations, l’entreprise n’est pas automatiquement épargnée d’une éventuelle infraction car si, au-delà des obligations déclaratives, elle n’est pas dans l’exécution opérationnelle telle qu’elle peut être appréhendée de façon objective, elle peut se retrouver, par la requalification de l’opération, dans un schéma de reconnaissance de travail dissimulé ou de travail illégal.

        1. Comment se prémunir des risques afférents à ces obligations ?

Pour se prémunir des risques afférents au travail dissimulé, une entreprise doit d’abord respecter la loi, c’est-à-dire les obligations de prévention et de déclaration fixées par les textes, et être volontariste en ce sens.

En second lieu, une entreprise qui serait victime ou cocontractante d’une entité qui veut commettre une infraction se doit de sensibiliser son cocontractant sur les conséquences de ces actions et surtout, elle ne doit pas se rendre complice de ce type de schéma. En effet, dans le cas de la sous-traitance par exemple, il existe des obligations réglementaires qui prévoient une solidarité dans le respect des obligations. Celui qui initie le schéma a d’autant plus d’obligations que sa responsabilité peut être engagée, et il existe une obligation de solidarité financière sur le paiement des cotisations. La double sanction doit donc conduire les entreprises à être très prudentes pour éviter l’infraction.

Ainsi, dès lors qu’il y a multiplication des zones de risque, un dirigeant d’entreprise a tout intérêt à mettre en œuvre une politique de prévention maximale, en prenant notamment un minimum de précautions. Il faut donc en premier lieu disposer d’une sorte de manuel de procédures contenant l’ensemble des obligations de précautions déclaratives à respecter. Le nécessaire respect de ces obligations impose aux entreprises de penser et de mettre en œuvre une organisation leur permettant de se prémunir des risques liés au travail dissimulé. Dans la pratique, chacune s’organise en fonction de sa taille, et de son niveau de structuration.

Dans les grandes entités, c’est généralement la direction juridique, la direction des achats ou les services généraux, voire la direction générale, qui se charge de la procédure de contrôle. En tout état de cause, quel que soit le service en charge de ce sujet, il est important de responsabiliser les collaborateurs concernés, en les invitant à vérifier la situation de leur fournisseur avant de signer tout contrat. Tout le monde doit être informé des obligations légales en matière de lutte contre le travail dissimulé. Cette démarche est indispensable lorsque, en particulier dans les petites structures, chacun peut passer commande : c’est alors au preneur de commande de se charger des vérifications obligatoires. Il est donc primordial qu’il soit informé des obligations relatives à ce sujet.

Dans la pratique, certaines entreprises réalisent des audits de leurs fournisseurs, prestataires ou cocontractants. Si ces démarches sont bienvenues, à titre complémentaire, il importe en premier lieu de respecter les obligations légales, c’est-à-dire la collecte et la vérification des trois documents obligatoires. Outre des audits, il est aussi recommandé de prévoir, notamment dans des contrats-cadres, une clause sur la prévention du travail dissimulé. Néanmoins, cette clause ne suffit pas et ne dispense pas le donneur d’ordres de collecter, vérifier et actualiser les documents obligatoires.

Il est donc indispensable, pour chaque entreprise, de réfléchir à la mise en place d’une procédure de lutte contre le travail dissimulé, et ce d’autant que, dans la situation économique actuelle, les charges qui pèsent sur les entreprises s’alourdissent, ce qui laisse présager une augmentation des fraudes. Il faut donc être très vigilant. Concrètement, il s’agit de mettre en place un process de suivi en interne, ainsi qu’une sensibilisation de tous les collaborateurs de l’entreprise susceptibles de passer commande, en soulignant qu’il existe des risques pour l’entreprise, les mandataires et les salariés concernés.

Une autre solution est de recourir à un outil externe, qui permet de s’assurer que les obligations sont respectées et de se décharger de procédures administratives longues et chronophages.

***

Outre ces procédures permettant de respecter les obligations de précautions déclaratives, un dirigeant d’entreprise a aussi tout intérêt à mettre en place des précautions de contrôle permanent de l’opérationnalité des situations pour éviter d’être en risque constant.

Les stages, les travailleurs indépendants ou la sous-traitance sont des schémas totalement tolérés, mais ce n’est pas parce qu’ils sont tolérés qu’une entreprise est à l’abri des infractions qui peuvent en découler si elle ne respecte pas ses obligations déclaratives et de contrôle, et l’exécution de ses propres obligations vis-à-vis de son partenaire. En effet, la jurisprudence utilise la méthode du faisceau d’indices pour considérer que, indépendamment du respect des obligations réglementaires, l’entreprise s’est comportée de sorte que l’utilisation du schéma dont elle se prévaut n’est pas licite.

En clair, respecter la loi et les obligations qu’elle fixe est une condition évidente, mais au- delà, il ne faut pas commettre l’irréparable, à savoir le détournement de statuts au détriment d’une situation qui devrait être déclarée sous une autre forme, en particulier en déqualifiant une relation de travail normale en une autre situation, dans le but de nuire aux intérêts du salarié, des administrations sociales et, in fine, de la collectivité.

 

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