Durant le printemps 2021, les partenaires sociaux se sont rencontrés pour réaliser une évaluation de la loi Avenir professionnel datant de 2018 et faire des propositions d’amélioration et de maintenir l’équilibre financier du système.
Les partenaires sociaux ont ainsi rédigé un document de 49 propositions qui a été transmis au Ministère du travail au début de l’été.
Dans cette perspective, des groupes de travail paritaires se sont déroulés sur les mois de Septembre et Octobre 2021.
Au final, ce n’est pas un ANI, mais un « accord national cadre interprofessionnel pour adapter à de nouveaux enjeux la loi du 05/09/2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel » qui a été signé dans la nuit du 14 et 15 Octobre 2021.
Ce que contient l’accord
L’accord reprend peu ou prou les 49 propositions réalisées en amont par les partenaires sociaux.
Sa vocation n’est pas de générer de la norme par lui -même.
Il s’agit plutôt d’un texte d’orientation qui pose le cap pour de futures négociations thématiques qui pourront, elles, précéder la signature de futurs ANI.
Voici les 7 thématiques reprises dans le document :
- encourager durablement le recours à l’alternance,
- professionnaliser l’utilisation du CPF et valoriser les nouvelles modalités de parcours,
- faire du développement des compétences des salariés un enjeu stratégique des entreprises,
- simplifier le système de certificationau bénéfice des utilisateurs,
- créer les conditions d’un pilotage éclairé de la formation professionnelle,
- financer le système,
- poursuivre le chantier des transitions professionnelles (notamment intersectorielles).
Parmi les propositions phares de ce texte, ces deux propositions impacteraient à la fois la formation des individus et celle des entreprises :
- réduction des dépenses liées au CPF , via une expérimentation, en limitation de l’accès aux formations hors-RNCP par le biais d’une validation préalable des dossiers par les opérateurs du conseil en évolution professionnelle (CEP),
- réaffectation d’une partie des 15 milliards du plan d’investissement dans les compétences (PIC)vers la formation des salariés et la création d’une ligne budgétaire chez France Compétences spécifiquement affectée au plan de développement de compétences des PME de 50 à 299 salariés sans toucher aux fonds mutualisés des moins de 50 salariés.
Il est à noter que la proposition d’une augmentation de la contribution des entreprises à 1,6 %, comme avant 2014, a été écartée.
Plus précisément, vous trouverez ci-après un récapitulatif de ce que contient l’accord.
Chantier 1 : l’apprentissage
Les partenaires sociaux reconnaissent que la réforme de 2018 « a permis une forte augmentation du nombre de contrats d’apprentissage ces deux dernières années, notamment dans l’enseignement supérieur ».
C’est l’aspect sur lequel l’ANI de février 2018 a été le mieux suivi, et les partenaires sociaux ne l’ont pas oublié.
Les mesures proposées visent à positionner davantage l’apprentissage dans les circuits d’orientation des élèves, à renforcer l’accompagnement des apprentis et à aider l’innovation pédagogique.
Les mesures concernant les entreprises sont les suivantes :
- Accroître le champ des dépenses éligibles aux « 13 % du 0,68 % », c’est-à-dire le versement libératoireà effectuer avant le 1erjuin de chaque année. Il s’agirait d’y intégrer « les dépenses liées à l’innovation pédagogique des CFA, notamment dans les secteurs d’avenir (numérique, ingénierie industrielle, recherche et développement…) ».
Actuellement, les CFA peuvent recevoir des subventions « sous forme d’équipements et de matériels conformes aux besoins des formations dispensées ».
Ces dépenses « liées à l’innovation pédagogique » restent bien sûr à définir.
- Pousser les entreprises àcertifier leurs maîtres d’apprentissage ou tuteurs : il existe en effet un certificat de maître d’apprentissage du ministère du Travail.
Spécialiser un ou plusieurs collaborateurs peut avoir du sens dans une politique de développement des compétences qui fait beaucoup appel à l’alternance.
- les partenaires sociaux souhaitent également « interroger l’intérêt d’harmoniser les aides aux entreprises pour l’embauche de jeunes en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation ».
La formulation est trop vague pour que l’on se fasse une idée précise des propositions possibles, mais on comprend que ces aides seront au menu des négociations
- harmoniser et simplifier les procédures administratives de dépôt des contrats d’apprentissage et de professionnalisation auprès des Opco.
On peut en attendre une simplification des démarches.
Chantier 2 : le CPF
Les partenaires sociaux regrettent que le dispositif ne soit pas aujourd’hui mobilisé dans un objectif suffisamment « professionnel ».
En clair, l’argent du CPF finance des formations déconnectées des besoins des entreprises
Par ailleurs, il n’y a pas assez de co-construction.
Avec 1,9 milliards d’euros probablement dépensés via le CPF en 2021, soit environ deux fois plus qu’en 2020, l’allocation de cette ressource suscite l’inquiétude des employeurs, des syndicats et des Opco.
Les propositions avancées visent à répondre à ces problèmes.
- Subordonner le recours au CPF à l’accord du Conseil en évolution professionnelle (CEP).
Évincés de toute intermédiation en matière d’accès au CPF, les partenaires sociaux veulent rajouter une couche de complexité au système, en intégrant à l’interface CPF une étape de validation par le CEP, au moins pour les formations non inscrites au RNCP.
Sans le dire, ils ciblent ici les permis de conduire et les formations en langue inscrites au répertoire spécifique (RS), qui représentent à leurs yeux une part trop élevée des formations achetées via le CPF.
Une expérimentation aurait lieu sur un certain nombre de formations, définies en concertation avec les partenaires sociaux.
- Permettre aux entreprises et aux branches d’acheter des formations via l’interface moncompteformation: les entreprises, elles aussi évincées de l’intermédiation, retrouveraient ici une place opérationnelle dans l’achat de formations financées par le CPF.
L’idée est de faire en sorte que les branches et les entreprises qui ont conclu un accord d’abondement CPF puissent acheter directement les formations concernées, en accord avec le salarié.
C’est un levier purement organisationnel et psychologique, mais qui peut avoir son utilité pour le responsable formation : une fois l’accord du salarié recueilli, il n’y a plus besoin d’attendre que ce dernier passe à l’acte lui-même ; le dossier pourrait être géré essentiellement par l’entreprise.
- Aborder le CPF, le CEP et les possibilités d’abondement lors des entretiens professionnels : ces points, avancés en propositions dans l’accord, figurent pourtant déjà dans la loi.
Il s’agit sans doute de les renforcer, d’une manière ou d’une autre.
- Le texte dit que « Les entreprises et les branches professionnelles peuvent, par accord collectif définissant notamment une politique d’abondement, cibler des formations identifiées (hors formations obligatoires) mises en œuvre sur le temps de travail et permettant de mobiliser, pour partie, le CPF des salariés ».
On ne comprend pas s’il s’agit d’un rappel de l’existant (des accords collectifs peuvent être négociés sur les abondements CPF) ou d’une proposition plus « radicale » : permettre la mobilisation par l’entreprise ou la branche d’une partie du CPF du salarié sans son accord. Il faudra attendre la négociation pour en savoir plus.
Chantier 3 : le développement des compétences des salariés
Les partenaires sociaux estiment que le passage du « plan de formation » au « plan de développement des compétences » n’est pas vraiment achevé dans les entreprises.
Pour les y aider, ils émettent ces propositions :
- Créer un cadre simplifié de GEPP(gestion des emplois et des parcours professionnels), avec les branches professionnelles, à l’attention des entreprises de moins de 300 salariés, non soumises à obligation de négocier un accord
- Instaurer des incitations (fiscales ou autres) à certaines dépensesvisant au développement des compétences.
L’accord cite en exemples « GEPP, diagnostics RH des OPCO, contribution conventionnelle, versements volontaires, co-construction et co-investissement ».
- Négocier sur la clause de dédit formation
Les partenaires sociaux pourraient créer un cadre conventionnel national pour ces clauses, qui sécurisent l’investissement formation de l’entreprise en imposant au salarié le remboursement total ou partiel de la prestation en cas de départ volontaire peu après la formation.
Chantier 4 : la certification
Les partenaires sociaux s’attaquent ensuite au chantier délicat de la certification. Ils déplorent le manque de lisibilité des répertoires, le manque de recours aux blocs de compétences, l’insuffisante harmonisation des pratiques des certificateurs et la complexité institutionnelle persistante du dispositif.
Les propositions contenues dans l’accord restent cependant à la fois très techniques et assez vagues, et ne concernent pas directement les entreprises.
Chantier 5 : la gouvernance
L’accord aborde la question de l’organisation globale du système de formation professionnelle et de son pilotage.
Il s’agit essentiellement de mesures institutionnelles.
Une seule pourrait avoir un impact pour l’entreprise, et sa perception de son environnement :
- Organiser la consolidation des données emploi-formationde tous les acteurs publics et privés
Ce point figurait dans l’ANI du 22 février 2018 mais n’a pas vraiment été repris dans la loi.
Pour les entreprises, disposer d’une meilleure information sur les emplois, les formations, les métiers et les compétences dans leur territoire pourrait être bénéfique à la veille RH.
On en est cependant très loin. Les partenaires sociaux proposent de travailler sur le sujet.
Chantier 6 : le financement
L’accord-cadre constate que le financement de la formation après la réforme comporte des inégalités.
Les entreprises de 50 à 300 salariés ont perdu tout financement au profit des demandeurs d’emploi, pendant que le succès de l’apprentissage et du CPF portaient ces dispositifs à des niveaux inattendus de dépense.
La formation professionnelle ne fait pas, en l’état, l’objet d’une planification pluriannuelle.
Parmi les mesures proposées, certaines pourraient avoir un impact sur les entreprises, en fonction des options retenues :
- Supprimer ou compenser les exonérations de taxe d’apprentissage
Il s’agirait soit de soumettre les organisations jusqu’à présent exonérées à la taxe d’apprentissage ; soit de demander à l’Etat de compenser le coût de ces exonérations, qui s’élèverait à environ 700 millions d’euros.
- Réviser les coûts-contrats des CFA suivant une méthodologie pluriannuelle
La formulation de l’accord est suffisamment vague pour que l’on ne sache pas vraiment quel type de mesure sera préconisé, mais il est possible que certains CFA d’entreprises soient impactés par des baisses de prises en charge, voire que les entreprises soient contraintes d’apporter des compléments de financement des frais pédagogiques dans certains cas (notamment pour les formations supérieures).
- Financer la formation sur les enjeux de transition écologique et numérique
On parle ici de pérennisation des subventions FNE, d’abondements publics de CPF, d’aides aux transitions professionnelles en particulier dans les entreprises de 50 à 300 salariés (en ligne avec ce qui est annoncé par le gouvernement).
Chantier 7 : les transitions professionnelles
Les partenaires regrettent que les dispositifs mis en place pour financer les transitions professionnelles ne sont pas à la hauteur des enjeux : Transco et Pro-A ne décollent pas, et par ailleurs Pro-A et le projet de transition professionnelle (PTP, ex Cif) ne ciblent que les moins qualifiés, alors que les questions de transition professionnelle concernent tous les niveaux de qualification.
Parmi les mesures proposées, on peut retenir les suivantes :
- instaurer un crédit d’impôtpour les dépenses supplémentaires consenties par un salarié qui s’engage dans un projet de transition professionnelle (PTP),
- élargir l’accès à Pro-A. L’accord ne précise pas en quoi : ce sera l’objet de la négociation.
Résumé : à quoi peuvent s’attendre les entreprises ?
Les principales mesures impactant potentiellement les entreprises en un coup d’œil.
Chantiers | Mesures possibles |
L’alternance | – Elargissement des dépenses éligibles au versement libératoire de la taxe d’apprentissage (13 % du 0,68 %)
– Des procédures un peu plus simples pour les dépôts de contrats en alternance aux OPCO – Peut-être du nouveau sur les aides aux entreprises : pérennisation de l’aide exceptionnelle ? élargissement de l’aide unique ?
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Le CPF | – Expérimentation, sur certaines formations, d’une étape supplémentaire de validation des dossiers CPF : l’accord préalable du CEP
– Achat direct de formations sur l’interface CPF par les entreprises et les branches qui ont conclu un accord d’abondement – Accords collectifs permettant de mobiliser une partie du CPF sans l’accord du salarié sur des formations non obligatoires précises ?
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Le développement des compétences | – Création d’un cadre simplifié de GEPP pour les entreprises de moins de 300 salariés
– Incitation (fiscale ou autre) à certaines dépenses de formation des entreprises (versements conventionnels ou volontaires, co-construction, GEPP, …) – Négociation sur la clause de dédit formation
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La gouvernance | – Consolider les données emploi-formation des différents acteurs, notamment les observatoires de branche
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Le financement | – Suppression possible de tout ou partie des exonérations de taxe d’apprentissage. A défaut, compensation par l’Etat
– Révision des coûts contrats des CFA – Pérennisation des subventions FNE sur les enjeux écologiques et numériques – Abondements CPFA publics sur ces enjeux – Financements OPCO pour les entreprises de 50 à 299 salariés
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Les transitions professionnelles | – Crédit d’impôt pour les dépenses du salarié au-delà du CPF en cas de projet de transition professionnelle (PTP, ex-CIF)
– Elargissement des conditions d’accès à Pro-A
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La suite du calendrier
Cet accord constitue donc la fixation d’un calendrier de travaux paritaires découpés en sept futurs chantiers thématiques.
Les travaux devront s’engager avec une date limite fixée à la fin du premier semestre 2022, comme l’a précisé Marie-Christine Oghly, la négociatrice du Medef.
Le texte est ouvert à la signature jusqu’au 15 novembre.
La plupart des organisations présentes devraient le parapher et le signer, à l’exception de la CGT ayant dénoncé une « négociation déloyale ». La CFE-CGC, elle, semble hésitante.
L’objectif des négociateurs est ensuite d’adresser ce texte à la ministre du Travail afin d’obtenir son extension comme indiqué à l’article 26 de l’accord : « Les parties signataires demandent aux pouvoirs publics l’extension du présent accord. »
Cette extension n’est pourtant pas automatique, et même étendue, ce n’est pas une garantie d’une loi.
Aussi, cet accord national se situe plutôt dans une temporalité politique riche et risque de s’inviter à nouveau au débat à l’issue des prochaines échéances électorales.