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LA PANDÉMIE COVID-19 EST-ELLE UN CAS DE FORCE MAJEURE ?

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La question de la force majeure agite les entreprises et les praticiens depuis le début de l’épidémie du Coronavirus (Covid-19).

Dès les premiers cas en Chine, ce sont principalement les entreprises subissant des retards voire des arrêts dans leurs approvisionnements auprès de fournisseurs chinois qui se sont interrogées sur la mise en œuvre des clauses de force majeure dans leurs contrats avec leurs clients.

Avec l’extension de l’épidémie au monde entier et principalement en Europe et en France ainsi que les annonces du Président Macron et du Premier Ministre les 12 et 13 mars 2020, la question de la force majeure a pris ici une toute autre dimension.

Ce n’étaient plus seulement les entreprises en rapport commerciaux avec des entreprises situées en Chine ou d’autres pays très exposés et déjà à l’arrêt comme l’Italie, ou des entreprises concernées par des mesures de quarantaines à la suite de cas avérés de Coronavirus chez certains de leurs salariés, mais bien l’ensemble des entreprises qui devaient s’interroger sur l’impact du coronavirus dans leur capacité à remplir leurs obligations commerciales.

Des mesures supplémentaires ont été ensuite prises pour ralentir la progression de la pandémie du Coronavirus impliquant la fermeture des crèches, écoles, collèges, lycées et universités, l’encouragement au télétravail et la mise en place d’un arrêt « maladie » automatique des salariés, parents d’enfants de moins de 16 ans qui ne pouvaient pas recourir au télétravail.

Les entreprises des secteurs du bâtiment, de l’industrie ou tout autre secteur dans lesquels le travail des employés est essentiellement manuel, étaient concernées puisque leur activité allait nécessairement être perturbée voire suspendue jusqu’à nouvel ordre.

Elles pouvaient alors être placées dans une situation dans laquelle elles n’étaient plus en mesure d’exécuter pleinement leurs engagements contractuels à l’égard de leurs partenaires commerciaux.

Une analyse précise de chaque situation devait être menée pour savoir si l’entreprise peut valablement se libérer en tout ou partie de ses obligations en invoquant un cas de force majeure.

La pandémie de Coronavirus (Covid-19), qui représente une menace sévère pour la santé des individus, est lourde de conséquences pour l’économie française.

Un grand nombre d’entreprises sont déjà confrontées depuis janvier 2020 à des difficultés de gestion de leurs approvisionnements auprès d’entreprises situées dans des pays très impactées comme la Chine ou plus récemment l’Italie.

En boomerang, c’est la satisfaction de leurs engagements contractuels envers leurs clients qu’il faut gérer.

D’autres entreprises sans rapports commerciaux avec les zones à risque ont, elles aussi, été impactées et le sont de plus en plus chaque jour.

Dans le domaine culturel et du tourisme, les arrêtés déjà publiés ont entrainé la fermeture de lieux de rassemblement de plus de 5 000 personnes puis 1 000 personnes et l’annulation d’évènements publics. Depuis le 13 mars 2020, ce sont désormais les rassemblements de plus de 100 personnes qui sont interdits.

Au lendemain de l’allocution d’Emmanuel Macron, qui a annoncé la fermeture des établissements scolaires, des crèches et a incité au télétravail, la crise a pris donc, comme anticipé, une toute autre dimension et il est clair que les impacts de l’épidémie ne se limitent plus à certaines zones géographiques de la France ou à certains secteurs d’activité, mais concernent bien l’ensemble du territoire et des acteurs économiques.

La capacité des employés à se rendre à leur travail était affectée par la fermeture des écoles et certains d’entre eux, s’ils n’ont pas la possibilité de télétravailler, étaient contraints de rester chez eux.

Enfin, la décision de fermeture obligatoire de certains secteurs et le confinement généralisé ont définitivement consacré le fait du prince et l’impossibilité pour certaines entreprises de pouvoir exécuter leurs obligations.

Il est donc nécessaire pour ces entreprises de pouvoir invoquer la force majeure pour justifier des retards voire l’inexécution de leurs engagements contractuels.

A l’inverse, les entreprises confrontées aux manquements de leurs partenaires commerciaux doivent savoir si elles peuvent s’opposer à la mise en œuvre de la clause de force majeure dans ces conditions.

Dans le secteur public, le Ministre de l’Economie, M. Bruno Le Maire, a indiqué récemment que le Covid-19 pourrait être invoqué comme un évènement de force majeure par les entreprises en charge de l’exécution de marchés publics de l’Etat, les dispensant du paiement de pénalités.

Dans le secteur privé, la question est différente et ne peut être gérée qu’au cas par cas à la lumière des principes bien établis de la jurisprudence désormais appliquée au Coronavirus.

Trois conditions pour la mise en œuvre de la force majeure

La force majeure prévue par l’article 1218 du Code civil est un évènement qui empêche une partie à un contrat d’exécuter ses obligations lorsque cet évènement échappe à son contrôle, c’est-à-dire est indépendant de sa volonté, n’était raisonnablement pas prévisible au moment de la conclusion du contrat et dont les effets sont insurmontables, de sorte que l’inexécution du contrat est devenue inévitable, et pas seulement plus difficile ou plus onéreuse.

Lorsque la force majeure est caractérisée, elle autorise la partie qui l’invoque à suspendre l’exécution du contrat jusqu’à ce que l’évènement en cause prenne fin.

Si les circonstances le justifient, la force majeure permet aussi de résoudre le contrat et de libérer les parties de leurs obligations respectives.

Le Covid-19 n’est pas la première épidémie à soulever la question de l’application des clauses de force majeure, et l’analyse de la jurisprudence montre que les juges sont généralement réticents à retenir la qualification de force majeure pour ce type d’évènements.

Ils sont très attentifs aux circonstances d’espèce qui entourent chaque demande en prenant en compte notamment la dangerosité de la maladie et la date de sa survenance.

  • Il ne fait aucun doute qu’une épidémie, quelle qu’elle soit est indépendante de la volonté de l’entreprise. La première condition est donc la plus facile à qualifier.
  • S’agissant du caractère imprévisible, dans le cas la grippe H1N1, la force majeure a déjà été écartée dans certains cas de tentative de mise en œuvre de la clause parce que l’épidémie avait été annoncée et prévue à plusieurs reprises, et était donc considérée comme prévisible.

De même dans le cas du virus du chikungunya, si l’épidémie préexistait au contrat, aucune imprévisibilité ne pouvait être invoquée.

  • Concernant le caractère insurmontable ou irrésistible des effets de l’événement, il a déjà été jugé qu’une maladie grave survenue après la conclusion du contrat qui affecte brutalement la santé d’un cocontractant peut constituer un évènement irrésistible, empêchant l’exécution du contrat.

A l’inverse, une épidémie n’a pas été considérée comme insurmontable lorsqu’elle n’était pas mortelle et lorsqu’il existait un traitement accessible permettant de surmonter la maladie.

Qu’en est-il du Covid-19 pour lequel il n’existe aucun traitement efficace et de nombreux décès ont déjà été causés par la maladie ?

En tout état de cause, même si la maladie est « insurmontable » par sa dangerosité, il peut être difficile de démontrer que les contraintes soulevées par l’épidémie empêchent totalement l’exécution du contrat, alors même qu’aucun individu dans l’entreprise ne serait affecté.

La force majeure et le coronavirus en pratique

Il faut examiner tour à tour les points suivants :

  • Examiner le libellé de la clause : les contrats commerciaux conclus entre des partenaires économiques contiennent généralement une clause de force majeure.

Cette clause peut est être rédigée de manière très vague ou au contraire viser des évènements très précis tels que la survenance d’épidémies ou de maladies.

D’un commun accord, cette clause peut être redéfinie pour étendre la force majeure et éventuellement agrandir la liste des évènements qui sont susceptibles de la constituer.

Certains contrats prennent déjà le soin de viser les pandémies/épidémies, notamment dans le secteur de la construction

  • Identifier les formalités à accomplir pour mettre en œuvre la clause.

Généralement, il s’agit d’informer son contractant de la mise en jeu de cette clause, de manière plus ou moins formelle.

  • Examiner la date de conclusion du contrat.

Si le contrat a été conclu avant la date à laquelle le Covid-19 a été qualifié d’épidémie, il pourrait être considéré que l’impact du Covid-19 n’était pas prévisible et constitue un évènement de force majeure.

A l’inverse, si la signature du contrat est postérieure au début de l’épidémie, l’entreprise qui l’invoque risque de ne pas réussir à démontrer le caractère imprévisible de cet évènement.

Ici, la principale difficulté restera de déterminer à quelle date il faut considérer que le Covid-19 a revêtu la qualification d’épidémie. Cela pourrait être la date de la première contamination en Chine, la date à laquelle l’Organisation Mondiale de la Santé (« l’OMS ») l’a qualifiée d « urgence de santé publique de portée internationale » (30 janvier 2020), ou encore le moment où le Covid-19 est devenu une « pandémie », toujours selon l’OMS (le 11 mars 2020).

L’identification de cette date sera déterminante.

  • Identifier précisément l’impact du Coronavirus sur l’entreprise pour apprécier si celui-ci est insurmontable et empêche la bonne exécution des obligations contractuelles ou s’il importe uniquement des difficultés inhérentes à l’exécution de tout contrat.

Pour faire valoir la force majeure, le coronavirus doit véritablement rendre directement impossible le respect des engagements contractuels qu’il s’agisse de fournir des produits ou de finir un chantier dans les délais par exemple.

Cela impose à l’entreprise de se poser des questions multiples allant au-delà la question de la localisation de ses propres fournisseurs.

Quel est le profil de la population salariale ? ont-ils des enfants ? sont-ils impactés par les mesures prises par le gouvernement ? avec quelle intensité ? il faut pouvoir bâtir un argumentaire solide pour éviter l’écueil de la contestation de la mise en œuvre de la clause de force majeure qui pourrait conduire au versement de dommages et intérêts ou pénalités importantes si le juge ne suit pas la position de la partie concernée.

D’autres questions périphériques se poseront alors : comment vais-je anticiper mon incapacité à assurer mes obligations contractuelles ? faut-il que je prévienne mon cocontractant ? si oui, quand dois-je le faire et dois-je immédiatement invoquer la force majeure ?

Il est donc essentiel à la lumière des dernières annonces du Gouvernement et des mesures prises entre le 12 et le 17 mars 2020,

  1. de vérifier l’existence d’une clause de force majeure dans les contrats commerciaux et d’examiner son champ d’application ;
  2. d’analyser les conditions de la mise en œuvre d’une telle clause et anticiper une éventuelle mise en demeure de la part du cocontractant ;
  3. d’envisager les mesures temporaires qui pourraient être mises en œuvre avant d’invoquer la force majeure ;
  4. d’évaluer régulièrement, au fur et à mesure de l’évolution des mesures prises par les pouvoirs publics, le risque qu’un cocontractant se trouve lui-même en situation d’invoquer la pandémie actuelle comme constituant un cas de force majeure ;
  5. de se préparer à l’éventualité d’un contentieux, si le partenaire commercial conteste l’application de la clause de force majeure.

Au-delà du droit commercial, la question de la force majeure se pose également en droit du travail.

En la matière, un arrêt de la Cour d’appel de Colmar du 12 mars 2020 (n° 20-01.98) peut nous aider à répondre.

La Cour d’appel de Colmar, en raison de ces circonstances qu’elle qualifie « d’exceptionnelles » relève que l’incapacité de statuer en présence de l’appelant revêt les caractères d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité de la force majeure en précisant que le « délai imposé pour statuer ne permettait pas d’escorter l’appelant de façon à s’assurer de l’absence de risque de contagion d’une part et que le CRA ne disposait pas du matériel qui aurait rendu possible la tenue de l’audience par visioconférence d’autre part ».

Cela étant, cet arrêt a été rendu dans une affaire de droit des étrangers.

Peut-elle être transposée sur tout domaine du droit du travail ?

Il convient de rester prudent.

Même si l’on peut, par comparaison avec l’approche du droit commercial, considérer que la force majeure pourrait être constituée, on sait que les juges en droit du travail ont souvent écarté la force majeure.

En tout état de cause, si celle-ci devait être reconnue, elle permettrait alors à tout débiteur de justifier de l’impossibilité d’exécuter sa prestation et de la libérer de son obligation.

Il convient bien sûr de relativiser car beaucoup de règles en droit du travail ont d’ores et déjà été aménagées pour rendre impossible d’invoquer la force majeure, d’autant plus qu’avant d’invoquer celle-ci, il est possible de justifier de l’exception d’inexécution, c’est-à-dire de suspendre temporairement l’exécution du contrat ou des obligations.

Affaire à suivre…

 

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