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Harcèlement moral dénoncé : obligation d’enquêter

harcèlement moral

Réagir de façon adéquate à la dénonciation, quelle qu’en soit la forme : écrite, verbale, etc., d’une situation de harcèlement moral, c’est d’abord, pour l’employeur, œuvrer dans l’intérêt de son entreprise mais c’est aussi une obligation légale.

Celui-ci est, en effet, juridiquement tenu de prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

A ce titre, il peut être déclaré responsable s’il n’a pas « pris toutes les mesures de prévention » prévues par la loi et si, bien qu’« informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral », il s’est abstenu de mettre en œuvre « les mesures immédiates propres à le faire cesser ».

En particulier, le salarié qui s’estime harcelé peut prendre l’initiative de rompre son contrat de travail et demander à ce que cette rupture produise les conséquences d’un licenciement injustifié, voire nul.

Alors comment réagir ?

Protection

Une réaction immédiate s’impose quand bien même le salarié, sans employer expressément les mots de « harcèlement moral », se serait « simplement » déclaré en situation de « souffrance » ou de « mal-être » au travail.

L’employeur doit, en effet, prendre les mesures conservatoires idoines pour préserver la santé du salarié qui se dit victime d’une telle situation.

Il dispose en la matière d’une large panoplie d’outils juridiques.

Il peut s’agir, le temps de procéder aux investigations nécessaires et en veillant bien, sauf accord exprès de l’intéressé, à ne pas modifier son niveau de responsabilités, par exemple :

  • de « dispenser » temporairement d’activité le salarié victime ou celui que ce dernier aurait éventuellement mis en cause, en veillant à recueillir expressément et préalablement leur accord,
  • ou de séparer les protagonistes en mutant provisoirement l’un ou l’autre dans un autre service ou dans un autre établissement (lequel, sauf clause de mobilité, devra être situé dans le même secteur géographique que le précédent lieu d’activité).

Diagnostic

L’employeur doit ensuite mettre en œuvre une enquête afin de faire toute la lumière sur les faits dénoncés et, le cas échéant, de se constituer des preuves pour justifier les mesures qu’il sera éventuellement amené à prendre par la suite.

L’enquête peut être confiée à un prestataire extérieur ou à une commission d’enquête interne composée paritairement de représentants de la direction et des salariés, en veillant à y associer l’inspecteur et le médecin du travail.

Elle consistera notamment à recueillir des témoignages, lesquels devront être consignés par écrit.

Par ailleurs, les personnes entendues doivent être invitées à illustrer leurs propos par des exemples circonstanciés.

Contrairement à une pratique trop souvent répandue, les témoignages anonymes sont à proscrire car ils ne peuvent être exploités en justice.

L’employeur qui aurait sanctionné le salarié « harceleur » sur la foi de témoignages anonymisés sera alors bien en peine de justifier la mesure prise, et celle-ci pourra être judiciairement remise en cause.

Enfin, l’enquête doit être contradictoire : le salarié incriminé doit être auditionné au même titre que celui à l’origine de la plainte.

Traitement

Si les faits de harcèlement sont avérés, l’employeur doit réagir en mettant en place une organisation du travail adaptée et, le cas échéant, en sanctionnant ou en « neutralisant » le ou les salariés harceleurs par des mesures telles que sanctions (licenciement, par exemple) ou changements d’affectation.

L’employeur ne peut engager des poursuites disciplinaires contre le ou les harceleurs que dans un délai de 2 mois à compter du jour où il a acquis une « connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits », c’est-à-dire le plus souvent à compter de la date à laquelle l’enquête aura livré ses conclusions.

Si les faits ne sont pas établis, le salarié qui aurait dénoncé à tort une situation de harcèlement moral ne peut être sanctionné sauf si, fait exceptionnel, il a dénoncé des faits qu’il savait pertinemment être faux.

Prévention

L’employeur qui réagit de façon adaptée à la dénonciation d’une situation de harcèlement moral ou de souffrance au travail n’aura, en réalité, parcouru que la moitié du chemin ; car s’il ne veut pas être tenu comptable de la détérioration de l’état de santé d’un salarié consécutive à un tel harcèlement, il lui appartient de mettre en œuvre, en amont, toutes les mesures de prévention des atteintes à la santé des travailleurs prévues aux articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail.

A ce titre, il lui revient, notamment, de mettre en œuvre des actions d’information et de formation des salariés, notamment en menant des campagnes de sensibilisation au harcèlement auprès du personnel d’encadrement

Le règlement intérieur doit, quant à lui, rappeler les dispositions relatives au harcèlement moral et sexuel.

On le voit, l’employeur qui souhaite éviter d’engager sa responsabilité civile voire pénale au titre d’un éventuel harcèlement moral doit respecter un cahier des charges bien précis, pavé de chausse-trappes.

Qu’il s’agisse de désamorcer une situation conflictuelle ou d’anticiper les difficultés avant qu’elles ne surviennent notamment par la mise en œuvre de sessions de formation, le concours d’un conseil spécialisé dans la gestion des risques psychosociaux est donc hautement recommandé.

L’obligation de l’employeur est une nouvelle fois relevée par un arrêt du 27 novembre 2019 (n° 18-10.551).

Alors qu’elle se trouvait en arrêt de travail, une salariée avait, par deux fois, écrit à son employeur pour se plaindre du harcèlement moral exercé à son encontre par sa supérieure hiérarchique et, ainsi, alerter sur la dégradation de sa santé en lien avec ses conditions de travail.

Elle avait ensuite été licenciée pour insuffisance professionnelle, sans avoir repris le travail.

Devant le Conseil de prud’hommes, la salariée demandait l’annulation de son licenciement, ainsi que la réparation du préjudice résultant du harcèlement moral et du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

La Cour de cassation approuve l’analyse de la Cour d’appel selon laquelle la salariée ne rapportait pas la preuve d’éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral.

Aucune indemnisation ne pouvait être accordée à ce titre.

Ce qui n’empêche pas la Cour de cassation de retenir que le licenciement était bien nul, pour avoir été notifié ensuite de la dénonciation de ce harcèlement moral.

Pour mémoire, aucun salarié ne peut être licencié pour avoir témoigné ou relaté des faits de harcèlement moral (art. L. 1152-2 C. trav.).

Cette protection spécifique n’est écartée qu’en cas de mauvaise foi, notamment si le salarié a « connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce » (Cass. soc. 7 févr. 2012 n°10-18.035), ce qui n’était pas débattu en l’espèce.

Mais ce n’est pas tout.

Pour la Cour de cassation, « l’obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral ».

Par conséquent, il incombait à l’employeur de diligenter une enquête afin de faire la lumière sur les faits dénoncés, quand bien même aucun harcèlement moral n’avait pu être démontré in fine.

Elle accueille l’argumentation de la salariée, qui faisait valoir que par son inertie, l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité.

Cette décision semble d’autant plus sévère que la dénonciation était survenue au cours d’une période de suspension du contrat de travail, ce qui faisait obstacle à toute enquête contradictoire.

Ainsi, l’employeur qui se trouve confronté à une dénonciation d’un harcèlement moral doit veiller à ne pas l’éluder – même si elle lui apparaît non sérieuse a priori – sans avoir préalablement enquêté (idéalement en coordination avec le CSE).

A défaut, son abstention pourrait être considérée comme fautive.

Pour consulter l’arrêt, cliquez ici.

 

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