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BARBE, TATOUAGES, PIERCING

BARBE, TATOUAGES, PIERCING

Principe : une tenue correcte et décente

Pour la Cour de cassation, « la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu du travail n’entre pas dans la catégorie des libertés fondamentales » (Cass. soc. 28-05-2003 n° 02-40273).

L’employeur peut donc imposer aux salariés des contraintes vestimentaires justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché (Cass. soc. 6-11-2001 n° 99-43.988).

Les règlements intérieurs prescrivent d’ailleurs souvent l’obligation de porter une tenue « correcte » ou « soignée ».

Dans une décision-cadre n°2019-205 du 2 octobre 2019 (ci-après « la Décision »), le Défenseur des droits recommande d’ailleurs que « les exigences liées à l’apparence physique, si elles sont légitimes, soient alors expressément consignées dans un document écrit, tel qu’un règlement intérieur (…). »

En pratique, il est délicat de savoir ce qu’est une tenue décente ou correcte.

N’est-ce d’ailleurs pas une question de goût ? Certainement, mais les goûts et les couleurs se discutent devant les juridictions et la jurisprudence en fournit de nombreux exemples :

– le fait de porter un survêtement, pour une salariée en contact avec la clientèle d’une agence immobilière, est constitutif d’une faute justifiant son licenciement (Cass. soc. 6-11-2001 n° 99-43.988),

– est abusif le licenciement d’une salariée cadre qui s’est rendue chez un client en jeans et en bottes, une telle tenue n’étant « en rien incongrue ni déplacée », mais « tout au contraire parfaitement correcte » (CA Paris 9-10-2008 n° 06-13511),

– le port d’un bermuda, pour un salarié ayant des contacts avec la clientèle, est incompatible avec ses fonctions (Cass. soc. 12-11-2008 n° 07-42.220). Le réchauffement climatique devrait conduire à des atténuations de cette jurisprudence,

– est justifié le licenciement d’une salariée refusant de modifier sa tenue suggestive : port d’un chemisier transparent sur des seins nus (Cass. soc. 22-07-1986 n° 82-43.824),

– est discriminatoire le licenciement pour faute grave d’un salarié s’étant présenté chez un client en portant des habits de femme (CA Grenoble 6-6-2011 n° 10-3547),

– le comportement du salarié d’une entreprise de sécurité visitant un client (un ministère de l’État) en jeans troués, T-shirt et veste de treillis est de nature à nuire à l’image de son employeur (CA Paris 25-1-2011 n° 09-2207),

– est abusive la rupture du CDD d’un manutentionnaire, dès le premier jour de sa période d’essai, au motif qu’il s’est présenté au travail vêtu d’un costume et d’une cravate (CA Dijon 11-5-1994 n° 93-2219).

L’employeur comme le salarié ont bien du mal à discerner ce qui est bien ou mal dans ce méli-mélo jurisprudentiel.

Le Défenseur des droits, dans la décision précitée, retient trois grands principes intéressants :

– la légitimité de l’objectif poursuivi par l’employeur qui peut relever de la santé, la sécurité, l’hygiène, l’image de l’entreprise, la décence, etc,

– l’existence réelle d’une exigence professionnelle essentielle et déterminante au regard de cet objectif et du poste concerné. Cette démonstration qui doit être faite in concreto ne peut pas se fonder sur des préjugés notamment de la clientèle ou des usagers,

– le caractère approprié de la restriction et sa proportionnalité par rapport à l’objectif poursuivi : cela suppose de vérifier que cet objectif ne peut pas être atteint autrement que par la mise en œuvre de cette restriction. Ainsi, le contact avec les usagers, l’exercice d’une fonction d’autorité ou la relation avec la clientèle ne permettent pas, à elles seules, de justifier toutes les restrictions.

 

Des cas particuliers

  • La barbe et la coiffure

L’obligation d’adopter un type de coiffure est interdite depuis longtemps comme portant atteinte aux droits des personnes et aux libertés individuelles (Circ. DRT 5-83 du 15-03-1983 n° 1242).

Le Code du travail dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (C. trav. art. L. 1121-1).

Par exemple, dans un arrêt du 13 septembre 2012, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi d’un salarié licencié notamment pour n’avoir pas respecté une note de service indiquant que les personnels devaient se présenter sur les chantiers de désamiantage et de déplombage parfaitement et quotidiennement rasés (Cass. soc. 13-09-2012 n° 11-20.015).

Les juridictions du fond ont également eu l’occasion de délimiter le pouvoir disciplinaire de l’employeur s’agissant de la barbe et de la coiffure.

Ainsi, la Cour d’appel de Paris a jugé que l’employeur peut exiger d’un chauffeur-livreur qu’il s’abstienne de se présenter, dans l’exercice de ses fonctions, sous un aspect exagérément fantaisiste (cheveux longs et boucles d’oreilles) (CA Paris 6 mai 1982 n° 20019-82).

En sens inverse, la Cour d’appel de Versailles a jugé que ne constitue pas une cause réelle et sérieuse de licenciement le fait, pour le salarié d’un supermarché, de porter la barbe, des cheveux longs et une boucle d’oreille (CA Versailles 8 juillet 1994 n° 93-6638).

Ces deux décisions contradictoires sont anciennes. Comme le relève le Défenseur des droits, la barbe est, depuis 10 ans, devenue un véritable phénomène de mode conduisant à une révision des codes professionnels.

En définitive, l’interdiction des discriminations fondées sur l’apparence physique protège les hommes contre une interdiction de porter la barbe dans le cadre professionnel, sauf restrictions liées à l’hygiène, à la santé et à la sécurité.

Par exemple, est justifié le licenciement d’un salarié travaillant dans une société de démantèlement et de logistique nucléaire qui refuse de raser sa barbe au mépris de consignes de sécurité dûment justifiées et proportionnées (risque de contamination ionisante) (CA Nîmes 21 juin 2016 n° 14/04558).

La même solution est transposable aux coiffures comme en témoignent ces exemples :

– est justifié le licenciement d’un cuisinier ayant les cheveux sales et gras (CA Colmar 15-01-2013 n° 11/05558),

– l’employeur peut légitimement exiger d’un employé de banque, ayant la tête rasée sur les côtés et surmontée d’une crête jaune centrale gominée (« à l’iroquoise ») de revenir à une coiffure plus discrète (CA Paris 7 janvier 1998 n° 86-34010).

A l’inverse, comme le rappelle le Défenseur des droits, est injustifié le refus de promotion d’un attaché commercial en matière de téléphonie du fait qu’il portait une queue de cheval et qu’il refusait de se couper les cheveux (CA Rennes 12 octobre 2011 n° Jurisdata 2011-030066).

Enfin, le Défenseur des droits attire l’attention des employeurs sur les discriminations fondées sur l’origine et liées au cheveu texturé (afro, tresses, dreadlocks, etc.).

  • Les tatouages et les piercings

Alors que dans les années 80 la France ne comptait qu’une vingtaine de salons de tatouage, il en existe aujourd’hui entre 4.000 et 5.000 et un quart des actifs auraient déjà porté un tatouage (source : defenseurdesdroits.fr).

Pour le Défenseur des droits, « les considérations générales liées à l’image de l’entreprise privée (…) ne permettent pas, en tant que telles, de justifier des restrictions générales et absolues en matière de tatouage et de piercing. Les employeurs privés et publics doivent dûment justifier le caractère approprié et proportionné de ces restrictions. »

La jurisprudence de la Cour de cassation n’est pas très fournie en la matière.

La Cour d’appel de Paris a pu « valider » la rupture de la période d’essai d’une salarié motivée par son refus de retirer ses piercings malgré des consignes justifiées par la nécessité pour elle, dans l’exercice de ses fonctions, de revêtir des costumes d’époque, dont le port est anachronique avec celui contemporain des piercings (CA Paris 3-4-2008 n° 06-10076).

En sens inverse, est abusif le licenciement d’une hôtesse d’accueil d’un bowling portant un piercing nasal discret au motif qu’il occasionnerait des désagréments à la clientèle (CA Metz 7-04-2008 n° 05/00808).

Quant aux tatouages, tout dépend du message qu’ils peuvent véhiculer. Des tatouages racistes, antisémites, sexistes ou violents peuvent donner lieu à une sanction disciplinaire, voire à un licenciement.

Dans le cas contraire, ils devraient pouvoir être admis si l’employeur ne peut pas invoquer un impératif lié l’image de l’entreprise ou à la décence.

Dans sa Décision, le Défenseur des droits rappelle qu’en 2011, la HALDE avait résolu amiablement le refus d’embauche d’un candidat à un poste de vendeur dans un magasin de jouets qui avait accepté de recouvrir son tatouage afin de ne pas effrayer les enfants.

  • Les mensurations et le poids

Exiger d’un salarié qu’il réponde à des mensurations précises présente un risque majeur de discrimination.

Pour cette raison, la jurisprudence n’admet ces restrictions que dans des cas extrêmement limités.

Par exemple, le licenciement d’un mannequin est justifié dès lors qu’il ne présente plus les mensurations requises pour son travail lié à des mesures industrielles (CA Paris 14 mars 1989 n° 88-35597) (il ne s’agissait donc pas d’un mannequin défilant sur un podium).

De même, la clause imposant un poids limite à une ancienne personne obèse, animatrice d’un groupe de personnes prises en charge pour perdre du poids, est licite en fonction de l’emploi occupé et de la nécessité d’être un exemple de l’état à atteindre et la preuve qu’il peut l’être (CA Douai 20-10-1983 n° 82-2265).

La Cour d’appel de Douai avait déjà jugé qu’une clause imposant un poids limite à la salariée d’un centre esthétique prodiguant à ses clients des soins pour maigrir était licite et ne portait pas atteinte à la vie privée (CA Douai 20-10-1983 n° 82-2265).

Il convient de souligner que ces décisions sont anciennes et que seuls des cas exceptionnels autorisent l’employeur à tenir compte des exigences physiques des salariés.

Ainsi, la société exploitant le Moulin-Rouge a pu valablement subordonner la poursuite du contrat de travail d’une danseuse de revue à un état physique et esthétique « conforme », après 11 ans d’absence à la suite de divers congés parentaux (Cass. soc. 5-03-2014 n° 12-27.701).

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