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ORGANISER LA REPRISE : l’obligation de prévention par l’employeur de l’exposition aux agents biologiques est-elle applicable au Covid-19 ?

obligation de prévention

Par deux ordonnances de référé des 3 et 14 avril 2020, le Tribunal Judiciaire de Lille a jugé que, s’agissant d’une association d’aide à la personne et d’un supermarché, les travailleurs sont exposés, dans le cadre de leur activité professionnelle, au coronavirus qualifié d’agent biologique. La juridiction conclut que ces entreprises sont tenues de respecter les règles de prévention des risques biologiques prévus par le Code du travail (C. trav., art. L. 4421-1 et R. 4421-1 s.).

Ces solutions soulèvent une question inédite : la pandémie de Covid-19 peut-elle être envisagée comme exposant les travailleurs à un risque biologique au sens du Code du travail ?

Dans l’affirmative, les conséquences ne sont pas à prendre à la légère par l’employeur.

La notion d’agent biologique est-elle applicable au Covid-19 ?

Dans le cadre de l’obligation de prévention des risques, le Code du travail commande à l’employeur de protéger les travailleurs exposés à des agents biologiques. Ces agents biologiques sont répartis en quatre groupes (C. trav., art. L. 4421-1 et R. 4421-3) :

  • Groupe 1: « les agents biologiques non susceptibles de provoquer une maladie chez l’homme »
  • Groupe 2: « les agents biologiques pouvant provoquer une maladie chez l’homme et constituer un danger pour les travailleurs. Leur propagation dans la collectivité est peu probable et il existe généralement une prophylaxie ou un traitement efficace »
  • Groupe 3: « les agents biologiques pouvant provoquer une maladie grave chez l’homme et constituer un danger sérieux pour les travailleurs. Leur propagation dans la collectivité est possible, mais il existe généralement une prophylaxie ou un traitement efficace »
  • Groupe 4: « les agents biologiques qui provoquent des maladies graves chez l’homme et constituent un danger sérieux pour les travailleurs pour lesquels il n’existe généralement ni prophylaxie ni traitement efficace. Le risque de leur propagation dans la collectivité est élevé. Il n’existe généralement ni prophylaxie ni traitement efficace ».

Les agents biologiques des groupes 2, 3 et 4 sont considérés comme des agents biologiques pathogènes (C. trav., art. R. 4421-4).

La liste des agents pathogènes appartenant à ces trois groupes est fixée par l’arrêté du 18 juillet 1994.

Cet arrêté n’a pas été mis à jour depuis la crise sanitaire liée au Covid-19.

Pour autant le Ministère du Travail, dans son questions-réponses à destination des salariés et des employeurs, identifie le Covid-19 comme un agent biologique pathogène de groupe 2.

Quelles sont les entreprises qui pourraient être tenues d’appliquer la règlementation sur les risques liés aux agents biologiques ?

Dans tout établissement où la nature de l’activité peut exposer les travailleurs à des agents biologiques, des mesures de prévention des risques liés à cet agent biologique doivent être respectées (C. trav., art. R. 4421-1).

Sur la base de ce principe, le Ministère du Travail prévoit dans son questions-réponses que sont exposés au risque du Covid-19 :

  • Les professionnels systématiquement exposés au risque de contamination du virus du fait de la nature de leur activité habituelle. Cette catégorie recouvre l’ensemble des professionnels de santé et de secours
  • Les travailleurs dont les fonctions les exposent à un risque spécifique quand bien même l’activité de leur entreprise n’impliquerait pas normalement l’utilisation délibérée d’un agent biologique. Cette situation peut notamment concerner les travailleurs des secteurs des soins, de l’aide à domicile ou des services à la personne, dès lors que leurs tâches impliquent des contacts de moins d’un mètre avec des personnes potentiellement contaminées (ex : toilette, habillage, nourriture).

Les employeurs de ces secteurs devraient donc systématiquement appliquer les mesures préventives propres aux risques biologiques.

Le Tribunal Judiciaire de Lille a statué en ce sens à propos d’un employeur intervenant dans le secteur de l’aide à la personne.

Cependant, limiter l’applicabilité des prescriptions sur les agents biologiques à ce type d’entreprises ne nous parait pas prudent.

En effet, il semble difficile, pour toutes les entreprises actuelles, de soutenir que leurs travailleurs ne seraient pas exposés au Covid-19, d’autant plus que le gouvernement leur prescrit aujourd’hui de mettre à jour leur document unique d’évaluation des risques (DUER) pour y inscrire précisément ce « risque spécifique ».

Cette position est illustrée par la condamnation récente d’un supermarché par le Tribunal Judiciaire de Lille, auquel il a été enjoint de respecter l’ensemble des prescriptions propres aux risques biologiques.

Il est intéressant de constater que, pour justifier l’application des prescriptions propres aux agents biologiques, le Tribunal Judiciaire a préalablement pris le soin d’analyser le DUER de l’entreprise et de relever qu’un « risque spécifique » lié au Covid-19 avait été identifié (en l’espèce « risque biologique –risque épidémique – pandémie »).

Quelles sont, en conséquence, les mesures de prévention que les entreprises doivent appliquer ?

  • L’article R. 4422-1 du Code du travail prescrit à l’employeur de prendre des mesures de prévention visant à supprimer ou à réduire au minimum les risques résultant de l’exposition aux agents biologiques, conformément aux principes de prévention énoncés à l’article  4121-2. Cette disposition concerne toutes les entreprises dont la nature de l’activité conduit à exposer leurs travailleurs au risque biologique.
  • Des mesures plus contraignantes sont applicables lorsqu’un « risque spécifique » lié à l’exposition à un agent biologique est relevé à l’issue du processus d’évaluation des risques (C. trav., art. R. 4421-1, alinéa 2).

L’employeur est dispensé de ces mesures plus contraignantes seulement s’il remplit les deux conditions cumulatives suivantes :

  • L’activité de l’entreprise n’implique pas normalement l’utilisation délibérée d’un agent biologique ; et,
  • L’évaluation des risques par le DUER ne met pas en évidence de risque spécifique (C. trav., art. R. 4421-1).

Ces mesures plus contraignantes sont les suivantes :

  • Des mesures d’évaluation et de prévention des risques applicables en cas d’exposition au risque biologique. Celles-ci sont, peu ou prou, celles déjà prescrites par le gouvernement s’agissant de l’obligation de sécurité de l’employeur propre au Covid-19.

On notera néanmoins les obligations pesant sur l’employeur consistant à :

  • Mettre en œuvre une procédure permettant d’effectuer le tri, la collecte, le stockage, le transport et l’élimination des déchets par les travailleurs (C. trav., art. R. 4424-3)
  • Fournir aux travailleurs des moyens de protection individuelle (masques, gants, blouse, etc.) et veiller à ce que les moyens de protection individuelle soient enlevés lorsque le travailleur quitte le lieu de travail (C. trav., art. R. 4424-5).
  • Une obligation d’information qui consiste notamment à tenir à la disposition du CSE, des salariés, de l’inspection du travail et de la CARSAT, les informations sur le nombre de travailleurs exposés au risque biologique (C. trav., art. R. 4425-4 et R. 4425-5). Cette obligation nécessite l’identification des travailleurs exposés au risque de Covid-19. A défaut de précision des textes, il pourrait être raisonnable de penser que seuls les salariés dont l’employeur sait qu’ils ont été contaminés ou en contact avec des personnes contaminées pourraient être considérés comme exposés au risque biologique.
  • Une obligation de formation des salariés sur le risque biologique en question (risques, précautions à prendre, port et utilisation des équipements de protection individuelle, etc..).
  • Une surveillance médicale renforcée des travailleurs pour les salariés exposés à des agents biologiques appartenant aux groupes 3 et 4.

Cette surveillance n’est néanmoins pas applicable à ce stade s’agissant de l’exposition au Covid-19, qualifié d’agent biologique de groupe 2.

Un dossier médical spécial est néanmoins tenu par la médecine du travail pour les travailleurs susceptibles d’avoir été exposés à tout agent biologique pathogène (donc aussi au Covid-19) et est conservé par celle-ci pendant plus de 10 ans.

Cette dernière prescription requiert, une nouvelle fois, l’identification des travailleurs susceptibles d’avoir été exposés.

Il faut espérer que les difficultés liées à la prévention des risques biologiques à propos du Covid-19 seront prochainement résolues par les pouvoirs publics.

Dans l’attente, les employeurs doivent faire preuve, à notre sens, d’une grande rigueur pour garantir un retour de leurs salariés au travail dans les conditions sanitaires les plus sécurisées.

Pour éviter tout écueil, ce retour pourrait s’inspirer fortement des mesures prescrites par le Code du travail en matière d’agents biologiques.

 

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